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J'en ai par dessus la tête
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30 août 2001

Qui est mon père ?

Il m'a fallu presque toute ma vie pour comprendre ma propre histoire au sein de ma "famille".

Aussi loin que remontent mes souvenirs j'ai toujours entendu ma mère me dire  "J'aurais dû te laisser", "je n'aurais pas dû te garder", "j'aurais mieux fait de te donner à ta naissance" ou "tu n'étais pas faite pour vivre dans une famille comme la nôtre, tu aurais dû vivre parmi les gens riches".

Elle s'en expliquait en affirmant que pendant sa grossesse, elle ne voulait pas de moi... Avec son médecin accoucheur il avait été décidé qu'elle me donnerait à lui au moment de ma naissance. Et de m'expliquer que après m'avoir auscultée, et (détail caustique) constaté que j'étais en bonne santé, cet homme lui a demandé  "Alors qu'est-ce qu'on fait ?". Je rapporte mot pour mot les paroles de ma mère ; de tels propos ne s'oublient jamais. Ce n'est qu'à cet instant qu'elle a décidé de ne pas m'abandonner. On peut comprendre qu'ensuite elle ait mille fois regretté qu'ils ne soient  pas être allés au bout de leur projet.

Cette histoire elle me l'a rabâchée jusqu'à ce que vers l'âge d'environ 17/18 ans, de guerre lasse,  je lui dise que si elle le voulait j'irais faire moi-même les démarches d'abandon. C'est ainsi que prenant conscience que je pouvais effectivement ébruiter ce qui se passait à la maison, elle n'a plus jamais proféré ces menaces. Pendant toutes ces années où je ne pouvais que baisser la tête sans mot dire, je me suis réfugiée dans les rêves en me construisant une autre vie, celle que j'aurais éventuellement pû avoir dans cette famille "adoptante". En même temps, je ne me posais pas de questions, je ne me suis jamais demandée pourquoi ce médecin voulait me garder. Un jour que malgré tout j'ai osé défier ma mère en lui disant : "Je prefèrerais que tu m'aies donnée à cet homme", elle m'a répondu : "Ah !mais c'est que tu aurais été malheureuse chez lui parce que sa femme ne pouvait pas avoir d'enfant alors elle aurait été méchante avec toi".

Avec le recul on voit bien toute l'incohérence de tels propos. En dehors de chercher à me faire mal, on peut supposer que ma mère réglait d'autres comptes, n'est-ce pas ? Au pire qu'aurait-il pu se passer ? Cette femme aurait pu me  dire qu'elle aurait dû me laisser à ma propre mère à défaut d'être ravie d'avoir enfin cet enfant qu'elle ne pouvait avoir. Cela aurait-il été plus douloureux pour moi ?

Puis j'ai fondé mon propre foyer. Sans aucun doute parce que j'avais débarassé cette famille de ma présence si gênante, ces regrets amers semblaient avoir disparus à tout jamais de toutes les mémoires, y compris de la mienne. C'était  sans compter avec les vicissitudes de la vie.

C'est lorsque j'ai eu 44 ou 45 ans, que "l'homme qui a pourvu à mes besoins matériels" ayant atteint l'âge de 85 ans, a décidé de me dire qu'il n'était pas mon père, le jour de la fête des pères, date minutieusement choisie, et à coup sûr mûrement réfléchie Il me semble que tout enfant qui a appris aussi tardivement qu'il a été adopté ou que "son père n'est pas son père" connait le déchirement que provoque ce genre de révélation. Aujourd'hui encore, je suis incapable de décrire la tempête intérieure que j'ai immédiatement ressentie. Je suis restée sans voix, et pour ne pas entendre ces paroles, j'ai bredouillé "Oui, ben pour moi, mon père c'est celui qui m'a élevée". J'ai compris depuis qu'il ne m'a pas réellement élevée, il s'est seulement trouvé dans l'obligation d'assumer ma présence à ses côtés.

Je me suis forgée de bonnes raisons pour ne pas entendre ce qu'il venait de me dire, pour ne pas souffrir aussi. Je n'avais pas à connaître leurs histoires de cocuage. En outre combien d'enfants adultérins vivent-ils au sein des familles sans savoir jamais qu'ils sont le fruit de liaisons extra-conjugales ? Existe-t-il plus sourd que celui qui ne veut rien entendre, rien comprendre ? Sans doute suis-je très douée pour accuser les coups. Au cas ou je n'aurais pas entendu, pas compris ce qu'il m'avait dit, mon "alimentateur" a répété ses propos l'année suivante, une fois encore lors de la fête des pères que, comme une bécasse, je persistai à lui souhaiter. Cette fois le message fut suffisamment fort pour que plus jamais je ne revienne lui susurrer un "Bonne fête papa" qu'il ne supportait probablement plus... et je me suis contentée de cette forme de rupture pour ne pas chercher à ficher la pagaille dans les familles.

Cinq ans plus tard je me suis surprise à espérer encore la "reconnaissance" de mes parents pour ce que je suis, pour ce que je vaux. Il en faut du temps pour comprendre que quoiqu'on fasse, certaines choses n'arriveront jamais.

Aujourd'hui  le puzzle se termine. J'ai compris pourquoi mon aînée ne pouvait pas aimer cet enfant si indésirable, je me demande ce qu'elle et son frère  ont entendu, compris, ressenti quand ma mère disait devant eux qu'elle n'aurait jamais dû me garder. Je crois savoir qu'ils n'imaginent même pas que leur père puisse n'être pas le mien. Je sais aussi que je suis l'enfant adultérin, ou à tout le moins considéré comme tel par celui que j'appelais papa. Je réalise que le regard qu'il a posé sur moi n'était pas le regard d'un père sur sa fille, mais le regard de l'homme bafoué sur la bâtarde. Je  me rends compte que sans aucun doute j'étais la mémoire vivante de l'affront qui lui était fait.  Je devine qu'il ne voulait pas "partir" sans que je sache sa vérité, même si ne ne saurais jamais qu'elles ont été ses motivations.

Mon principal regret aujourd'hui est de ne pas avoir été capable d'en parler sereinement avec lui. En contrepartie j'accepte ma bâtardise, d'avoir été "la farce permanente jouée à cette famille", la verrue dérangeante et de n'être qu'une demi-soeur. Je n'ai aucune envie de faire la connaissance de mon autre demi-famille, et surtout aucune envie de troubler leur existence. Je me demande tout juste si mon existence est connue d'eux. Je me pose la question mais je me fiche royalement de savoir si oui ou non "on" a quelque fois pensé à moi. A contrario, allez donc savoir pourquoi, alors que j'ai toujours défendu mon "nom de jeune fille" avec force, aujourd'hui, même si je n'ai pas l'intention de changer quoi que ce soit à ce qui est inscrit dans les registres de l'état civil, je décide d'accoler mon prénom, non plus à celui du mari de ma mère, mais à celui que tout  désigne comme étant mon géniteur. Curieusement, arborer ma bâtardise me procure une sensation de liberté.  J'éprouve un sentiment étrange  de fierté à voir mon nom revu et corrigé par moi.

Trop de temps a passé, trop de gens ne sont plus. Je ne peux rien espérer maintenant mais il aurait été intéressant de voir si, en étalant publiquement ce nom virtuel, quelqu'un, quelque part, n'aurait pas été ému par la musique de ce prénom joint à "son" nom.

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